jeudi 26 juillet 2007

Philippe Delerm / Walt Whitman



Cher Monsieur Sarkozy,

Je crois savoir que vous avez une certaine sympathie pour ce qui nous vient des Etats-Unis.

Avec votre ami Johnny Halliday, connaisseur encyclopédique de l’œuvre de Thomas Lanier Williams, vous avez sûrement affirmé en fredonnant que nous avions tous en nous quelque chose de Tennessee, ce qui, à la réflexion, est quand même plus vrai pour certains que pour d’autres.

Vous aurez plaisir je pense à découvrir, à travers ce recueil de poésies, que nous avons tous en nous quelque chose de Walt Whitman (1819-1892). Vous avez un vrai problème avec mai 1968, une époque et un esprit que vous espérez définitivement enterrés. La lecture du Whitman vous rassurera peut-être en vous révélant que l’esprit de mai 68 peut être conciliable avec l’amour de la démocratie. Elle vous inquiètera sans doute en vous disant que le meilleur de mai 68, ce qui peut laisser supposer qu’il y a là quelque chose de viscéral et d’irréductible qui pourrait ressurgir, sous des formes à définir.

Enfin, à défaut de libéralisme, vous entendez souffler dans ces pages le vent de la liberté, ce qui vous fera plaisir, car je ne doute pas que vous soyez plus attaché à celle-ci qu’à celui-là.
Je vous souhaite donc une bonne lecture, et vous prie de croire à mes sentiments respectueux,

Philippe Delerm.*




*dernier roman paru, A Garonne, Points.

jeudi 12 juillet 2007

Geneviève Brisac / Christa Wolf


Monsieur le président,

Pourquoi lisons-nous ? C’est en grande partie un mystère. Probablement dans l’espoir d’une vie plus lente, plus vaste, plus pleine, qui ne s’échappe pas de tous côtés. Nous lisons parce que la vie est un toboggan, ou un désastre. Ou les deux Nous lisons pour reprendre pied, reprendre sens.

Mais vous, vous n’avez pas le temps.
Peut-être pourrions-nous vous les faire partager, vous les raconter, ces livres que nous aimons, dont nous nous nourrissons, qui nous façonnent.

J’ai choisi pour vous un livre de Christa Wolf. C’est un livre politique. Il s’intitule Cassandre.
Elle revisite le mythe, elle parle d’elle, elle parle de nous. Elle montre combien nous avons besoin d’images, et de rêves, pour penser le présent.
Cassandre voulut être prophétesse. Parler avec ma voix, dit-elle, je n’ai voulu que cela et rien de plus. Elle ajoute, et c’est le secret de sa perte : Il y a en moi quelque chose de chacun, aussi n’ai-je jamais pu m’attacher entièrement à quiconque, ni comprendre la haine.

Ne pas comprendre la haine. S’identifier à chacun. N’avoir pour soi que sa voix.
Un contrepoison que je suis heureuse de pouvoir vous offrir, à l’aube de votre mandat, monsieur le Président.


Geneviève Brisac*


* dernier roman paru, 52 ou la seconde vie, éditions de l'Olivier.